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Berryer

et la Duchesse de Berry

Outre les artistes, Berryer a évidemment côtoyé les politiques de premier plan de l’époque. Évoquons la rencontre rocambolesque avec la duchesse de Berry évoquée par Eugène de Mirecourt dans son Berryer de 1858 :

 

« À cette époque, les légitimistes commirent une faute grave. Ils prirent leurs illusions pour des espérances. Des hommes à la tête ardente, aux instincts chevaleresques, braves. Officiers démissionnaires, oublieux des leçons du passé qui nous montrent comme indispensable l'épuisement complet des partis avant les restaurations monarchiques songèrent à recourir aux armes pour relever le trône du petit-fils de saint Louis.

 

La mère de Henri de France avait exalté les gentilshommes fidèles et jeté en eux l’héroïque énergie qui enflammait son cœur.

Au mépris de tous les dangers qui peuvent l’atteindre, elle débarque à Marseille et traverse nos provinces centrales pour gagner la Vendée.

Certes, en raisonnant au simple point de vue de l'histoire, sans tenir le moindre compte des enthousiasmes exceptionnels, sans partager les admirations de parti, sans juger du plus au moins d'imprudence de l'acte en lui-même, ce fut une grande et noble tentative que celle de cette princesse, de cette femme, de cette mère, qui venait, au milieu de périls de toutes sortes, réclamer un trône, et, comme Henri IV, son aïeul, montrer ses droits à la France au bout de l'épée.

Dans notre siècle pourri d'égoïsme et d'instincts cupides, on ne sait plus mourir pour une cause. On l'exploite ; et, si le danger se présente, on, l'abandonne.

Épouvanté au seul nom de guerre civile et ne croyant pas même à la possibilité d'une victoire, le chef reconnu du parti légitimiste, M. de Chateaubriand, assisté de MM. Hyde de Neuville et de La Ferronnaye, décide qu'il faut-se mettre en travers des plans de révolte de Madame.

 

« — L'heure n'est pas venue, disait-il. Nous sommes trop près de 1830 ; l'impopularité qui a causé la défaite existe encore. »

Chateaubriand avait raison.

Mais qui se chargera d'aller en Vendée, sous l'œil vigilant de la police de M. Thiers, prévenir Madame et chercher par le raisonnement à la convaincre ?

Berryer s'offre pour remplir cette mission.

Le 20 mai 1832, sous prétexte d'une affaire qu'il doit plaider devant la cour d'assises de Vannes, il part, arrive à Nantes, s'abouche avec M. de Bourmont, reçoit les indications voulues, demande un cabriolet sur l'heure et se dispose à rejoindre la duchesse, cachée assez loin de la ville.

 

Nous empruntons à la curieuse brochure du général Dermoncourt, La Vendée et Madame, plusieurs des épisodes qui vont suivre.

Conduit jusqu'à sa voiture par un homme de confiance du parti, Berryer lui demande :

— Où trouverai-je la duchesse, et quels chemins faut-il prendre ?

On lui répond :

— Vous voyez au bout de la rue ce paysan monté sur un cheval gris ? Suivez- le à distance, et ne vous inquiétez pas du reste.

Berryer monte en voiture. Il fouette son cheval ; le paysan précurseur lance le sien au trot.

Bientôt on est en pleine campagne. Le trajet dure longtemps, et le guide mystérieux ne tourne pas une seule fois la tête. En le voyant s'inquiéter si peu de la voilure qui est derrière lui, notre député voyageur commence à se croire victime d'une mystification.

Le paysan s'arrête enfin devant l'auberge d'un petit bourg, y laisse son cheval, et continue la route à pied.

Berryer en fait autant.

Quelques minutes après, ils entrent l'un et l'autre dans une maison de pauvre apparence.

— Voilà un monsieur qu'il faut conduire, dit le guide à la maîtresse du logis.

Sans ajouter un mot de plus, il s'éclipse. Berryer salue la paysanne, qui lui présente un siège et continue de vaquer aux soins dit ménage. Elle ne semble avoir aucune envie de lui adresser la parole. Au bout de trois quarts d'heure d'attente, un homme entre. C'est le mari.

— Voilà un monsieur qu'il faut conduire, dit laconiquement la femme à son tour.

 

D'un coup d'œil rapide et scrutateur, le Vendéen toise l'étranger. Puis il s'approche et lui fait subir l'interrogatoire suivant :

— Monsieur voyage dans notre pays ?

— Vous le voyez. Je désire môme aller plus loin.

— Monsieur a des papiers sans doute, des papiers sous son vrai nom ?

— Parfaitement.

— Si monsieur veut me les faire voir, je lui dirai bien s'il peut continuer son voyage.

Le député royaliste lui tend son portefeuille, et le Vendéen n'a pas plutôt lu le nom de Berryer, qu'il s'écrie :

— Oh ! très-bien ! je servirai de guide à monsieur.

 

Sans plus de retard on se met en route. Déjà la nuit tombe. Ils arrivent, au bout d'une demi-heure de marche, à la porte de l'une de ces métairies vendéennes, que le naïf habitant du Bocage décore du titre fastueux de châteaux. On va quérir le seigneur du lieu, qui n'est autre que l'un des chefs de l'insurrection.

Pendant cet intervalle, Berryer voit disparaître son second guide.

Il en a bientôt un troisième. C'est le gentilhomme campagnard lui-même, qui arrive après avoir fait seller deux chevaux frais. On s'enfonce malgré l'obscurité croissante sous les sombres avenues d'un bois voisin.

Tout à coup, au milieu de leur marche silencieuse, un cri singulier fait tressaillir l'avocat sur sa monture.

— Ne craignez rien, dit son compagnon. C'est notre éclaireur qui demande si nous, pouvons passer. Vous allez entendre la réponse.

Effectivement, un second cri, lointain' écho du premier, ne tarde pas à se reproduire.

— Avançons, dit le gentilhomme, la route est libre. Vous devez apercevoir, à droite et à gauche, quelques chaumières isolées sous les arbres. Quand nous passons, une tête d'homme se colle à la lucarne de ces chaumières et nous observe. S'il reconnaît des culottes rouges, l'homme en faction coupe à travers champs et va prévenir qui de droit... Mais silence !... Un nouveau cri de notre éclaireur n'a pas eu de réponse, il est évident qu'une patrouille visite les alentours. Cachons-nous.

Ils quittent le chemin et se réfugient derrière une haie touffue qui couronne la berge. Presque aussitôt résonne le pas lourd et cadencé de soldats au pas de ronde. Que l'une des montures piaffe ou vienne à hennir, l'avocat et le gentilhomme sont prisonniers.

Mais les bêtes imitent le silence des hommes, et la patrouille passe, ne se doutant de rien.

De transes en transes, de périls en périls, après avoir traversé des marécages où l'on enfonce jusqu'aux genoux, nos royalistes arrivent à une seconde métairie, mystérieusement enveloppée d'un rideau d'ombrages.

C'est le quartier général de l'insurrection ; c'est la résidence de Madame.

 

Le gentilhomme qui amène Berryer demande à voir M. Charles.

— Si c'est une affaire urgente, répond la personne à laquelle il s'adresse, on ira le réveiller, car il dort.

— Réveillez-le, dit le gentilhomme.

Dix minutes après, Berryer est introduit dans la chambre de la duchesse. On y arrive par un étroit escalier, dont les planches vermoulues craquent sous le pied du visiteur. Les murailles sont dépouillées ; point d'ornements, point de tentures. Pour uniques meubles, on ne trouve là qu'une table chargée de papiers, un lit en bois blanc équarri à la serpe, et une chaise de paille, sur laquelle est jeté un costume complet de jeune Vendéen avec une perruque brune. A la tête du lit sont accrochés des pistolets.

L'entretien de l’illustre légitimiste et de la mère de Henri V se prolongea toute la nuit.

Ce dut être un touchant dialogue, et qui, nous l'espérons, appartiendra quelque jour à l'histoire. Le prince de l'éloquence conjura l'héroïque duchesse de renoncer à son plan de révolte et de s'embarquer, pour fuir un pays où ne l'attendait que le malheur.

Madame de Berry parut céder à ses instantes supplications.

« — Alors, dit-elle, je ne reverrai plus la France, car nous ne reparaîtrons pas à la suite des armées ennemies. J'emporterai mon fils dans les montagnes de la Calabre, et les étrangers ne l'auront pas, monsieur Berryer, je vous le jure ! S'il faut qu'il achète le trône par la cession d'une province, d'une ville, d'une forteresse, d'une chaumière comme celle où nous sommes, Henri ne sera jamais roi ! »

Généreuses paroles, qu'il est impossible de lire sans être ému, pour peu qu'on ait sous la poitrine un cœur français.

 

Tous ces détails analysés de la brochure dont nous avons donné le litre, ou reproduits parfois d'une manière quasi textuelle, en vue de l'exactitude, sont parfaitement authentiques.

Berryer quitta Madame, prévoyant, hélas ! que d'autres conseillers effaceraient bien vite ses discours de la mémoire de la duchesse.

En effet, quelques heures plus tard, on décida l'insurrection; elle éclata dans la nuit du 3 au 4 juin. »

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