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L’éloquence

Berryer par Henri-Michel-Antoine Chapu (1833-1891),

en 1879. Salle des pas-perdus dans le Palais de Justice de Paris, sur l'Ile de la Cité.

Lors d'une grandiose manifestation organisée par le Barreau de Paris et réunissant ses anciens bâtonniers et tous les bâtonniers de France en exercice, pour la cinquantième année de Berryer à la Barre, Jules Favre, le Bâtonnier de Paris, le félicite en ces termes : « Champion infatigable du malheur, ennemi courageux de l'arbitraire et de l'illégalité, gardien sévère de nos traditions, il est au milieu de nous le maître vénéré de l'art de bien dire, et nul ne songe à lui disputer le premier rang que lui assigne notre admiration. »1 Le Barreau anglais rend à Berryer les mêmes hommages, l'année suivante.

 

Tous ses contemporains admirent unanimement son éloquence et la puissance de sa dialectique. Sa voix subjugue l'auditoire. « Nulle autre voix, écrit Cormerin, n'est comparable à celle de Berryer. La voix de Thiers était criarde et glapissante et la première fois que je le vis paraître à la Tribune ce petit homme, je pris bien vite mon chapeau et je m'en allai. (…) La voix de Royer-Collard était lourde et dogmatique comme une dissertation de philosophie (…). La voix de Lamartine était monotone comme une lyre qui n'aurait qu'une corde.

 

La voix de Ledru Rollin s'emportait vers le lustre et se perdait dans la déclamation (…). La voix de Monsieur de Villèle, pointue et nasillarde, déchirait le tympan (…). La voix de Monsieur Benjamin Constant bégayait et zézayait comme celle d'un enfant (…) et je crois encore entendre celle de Berryer : Elle brille, elle résonne, elle peint, elle pleure, elle tonne, elle supplie, elle attire, elle subjugue ».2 Aussi Cormenin entrevoit notre désillusion à la seule lecture des discours de Berryer : « Vous ne connaîtrez pas Berryer, générations nouvelles qui ne l'aurez pas entendu (…). Vous détournerez les yeux devant les restes froids de son éloquence sténographiée (…) et vous, Berryer, si vous m'en croyez, ramassez vos harangues jusqu'à la dernière, et brûlez-les au pied de la tribune »3. Par l'intermédiaire de ses amis Rossini, Musset et Delacroix, le grand maître de l'éloquence communie à la musique, à la poésie et à la peinture dont les accents et la couleur agrémentent ses plaidoiries et ses discours.

 

Cependant Berryer, dont les talents oratoires sont innés, ne voit pas dans l'art de la parole la seule qualité de l'avocat. Dans ses Leçons et Modèles d'Éloquence Judiciaire, il rappelle « qu'on peut être avocat sans être orateur, mais, qu'au Barreau, l'on n'est jamais un véritable orateur sans être avocat. » « Malheur » en effet, à celui qui s'embarrasserait plus de phrases sonores, toutes puissantes sur l'aveugle multitude, que de la solide démonstration qui doit concilier à sa cause les suffrages de ses juges ! ».4

 

 

Notes :

 

1. Favre, Jules, Discours, 26 décembre 1861

2. Cormenin, Livre des Orateurs, II, p. 106-107

3. Ibid., II, p. 108

4. Berryer, Pierre-Antoine, Leçons et modèles d’éloquence judiciaires, Paris, 1838 p.659

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Le 29 novembre 2018

 

Cent cinquante ans après le décès de l'illustre avocat, Maître Pierchon rend hommage à Berryer dans la salle des pas perdu de la Cour d'appel de Paris, puis à la bibliothèque des avocats.

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