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Berryer

et Chateaubriand

François-René de Chateaubriand (1768-1848)

par Anne-Louis Girodet

Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe évoque à de nombreuses reprises Berryer, « le plus éloquent des avocats royalistes ». (Quatrième partie/Livre V Garnier, 1910 Tome 6, p. 217)

 

À la Troisième partie, Livre XIV, Chateaubriand évoque une tentative d’assassinat du roi pour conclure sur le talent de Berryer. Chateaubriand raconte en ces termes :

 

« Albert-Anne-Jules Bertier de Sauvigny, lieutenant au 34e régiment d’infanterie devait être, peu de temps après la Révolution de Juillet, le héros d’une étrange aventure. Le 17 février 1832, le roi Louis-Philippe, la reine et Mlle Adélaïde, accompagnés du général Dumas, aide de camp du roi, sortaient à pied des Tuileries par la grille du quai, et entraient par un des premiers guichets sur le Carrousel, qu’ils traversèrent obliquement pour se rendre au Palais-Royal par la rue de Rohan. Au même moment, un cabriolet de remise, sortant de la rue de Chartres, traversait aussi le Carrousel et se dirigeait vers le guichet du Pont-Royal. Subitement, le maître de la voiture, vêtu d’un manteau bleu, fit retourner le cheval et le ramena du côté de la rue de Chartres et de l’hôtel Longueville, auprès duquel le roi se trouvait alors. Le cabriolet passa si près de lui qu’il fut forcé de se jeter vivement de côté. Quelques instants après, le roi et ses compagnons, arrivés à l’angle de l’hôtel de Nantes, virent revenir à eux le même cabriolet, qui était entré un instant avant dans la rue de Chartres, et qui, cette fois encore, semblait vouloir les serrer contre le mur et même les atteindre ; mais le cheval, ramené trop brusquement dans cette direction nouvelle, s’abattit ; il fut immédiatement relevé et continua rapidement sa course du côté du Pont-Royal. Après trois jours de recherches, la police découvrait que l’homme au manteau bleu était M. Bertier de Sauvigny. Il comparut le 5 mai 1832 devant la Cour d’assises de la Seine ; il n’était accusé de rien moins que d’avoir « commis un attentat contre la personne du roi, en dirigeant volontairement, à deux reprises différentes, et dans une intention coupable, son cabriolet contre la personne du roi ; crime prévu par l’article 86 du Code pénal ». L’article 86 punissait ce crime de la peine de mort. L’avocat général, M. Partarieu-Lafosse réclama l’application de cet article ; il déclara seulement, dans sa réplique, qu’après la condamnation interviendrait certainement une commutation de peine. Après une admirable plaidoirie de Berryer, Bertier de Sauvigny fut acquitté, aux applaudissements de l’auditoire. »

 

Chateaubriand évoque aussi la figure de Berryer à propos de la duchesse de Berry. À la suite des Trois Glorieuses de 1830, elle suivit Charles X et la cour en exil en Angleterre, vécut à Bath en Angleterre et au palais de Holyrood en Écosse, mais elle cherchait à se faire proclamer régente pour son fils, sous le nom d'«Henri V. » Elle voulait soulever la Vendée mais elle échoua et elle fut ainsi arrêtée le 8 novembre 1832 par la gendarmerie, dirigée par Adolphe Thiers qui, depuis le 11 octobre, venait de remplacer Montalivet au ministère de l'Intérieur. Voici comment Chateaubriand raconte l’équipée auprès de la duchesse de Berry :

 

« Madame la duchesse de Berry n’a pas eu plutôt sanctionné la mesure des 12 000 francs qu’elle s’est embarquée pour sa fameuse aventure. Le soulèvement de Marseille a manqué ; il ne restait plus qu’à tenter l’Ouest : mais la gloire vendéenne est une gloire à part ; elle vivra dans nos fastes ; toutefois, les trois quarts et demi de la France ont choisi une autre gloire, objet de jalousie ou d’antipathie ; la Vendée est une oriflamme vénérée et admirée dans le trésor de Saint-Denis, sous laquelle désormais la jeunesse et l’avenir ne se rangeront plus.

 

Madame, débarquée comme Bonaparte sur la côte de Provence, n’a pas vu le drapeau blanc voler de clocher en clocher : trompée dans son attente, elle s’est trouvée presque seule à terre avec M. de Bourmont. Le maréchal voulait lui faire repasser sur-le-champ la frontière ; elle a demandé la nuit pour y penser ; elle a bien dormi parmi les rochers au bruit de la mer ; le matin, en se réveillant, elle a trouvé un noble songe dans sa pensée : « Puisque je suis sur le sol de la France, je ne m’en irai pas ; partons pour la Vendée. » M. de ***, averti par un homme fidèle, l’a prise dans sa voiture comme sa femme, a traversé avec elle toute la France et est venu la déposer à *** ; elle est demeurée quelque temps dans un château sans être reconnue de personne, excepté du curé du lieu ; le maréchal de Bourmont doit la rejoindre en Vendée par une autre route.

 

Instruits de tout cela à Paris, il nous était facile de prévoir le résultat. L’entreprise a pour la cause royaliste un autre inconvénient ; elle va découvrir la faiblesse de cette cause et dissiper les illusions. Si Madame ne fût point descendue dans la Vendée, la France aurait toujours cru qu’il y avait dans l’Ouest un camp royaliste au repos, comme je l’appelais.

 

Mais enfin, il restait encore un moyen de sauver Madame et de jeter un nouveau voile sur la vérité : il fallait que la princesse partît immédiatement ; arrivée à ses risques et périls comme un brave général qui vient passer son armée en revue, tempérer son impatience et son ardeur, elle aurait déclaré être accourue pour dire à ses soldats que le moment d’agir n’était point encore favorable, qu’elle reviendrait se mettre à leur tête quand l’occasion l’appellerait. Madame aurait du moins montré une fois un Bourbon aux Vendéens : les ombres des Cathelineau, des d’Elbée, des Bonchamps, des La Rochejaquelin des Charette se fussent réjouies.

 

Notre comité s’est rassemblé : tandis que nous discourions, arrive de Nantes un capitaine, qui nous apprend le lieu habité par l’héroïne. Le capitaine est un beau jeune homme, brave comme un marin, original comme un Breton, Il désapprouvait l’entreprise ; il la trouvait insensée ; mais il disait : « Madame ne s’en va pas, il s’agit de mourir, et voilà tout ; et puis, messieurs du conseil, faites pendre Walter Scott, car c’est lui qui est le vrai coupable. » Je fus d’avis d’écrire notre sentiment à la princesse. M. Berryer, se disposant à aller plaider un procès à Quimper, s’est généreusement proposé pour porter la lettre et voir Madame, s’il le pouvait. Quand il a fallu rédiger le billet, personne ne se souciait de l’écrire : je m’en suis chargé.

 

Notre messager est parti, et nous avons attendu l’événement. J’ai bientôt reçu, par la poste, le billet suivant qui n’avait point été cacheté et qui, sans doute, avait passé sous les yeux de l’autorité :

 

« Angoulême, 7 juin.

« Monsieur le vicomte,

 

« J’avais reçu et transmis votre lettre de vendredi dernier, lorsque, dans la journée de dimanche, le préfet de la Loire-Inférieure m’a fait inviter à quitter la ville de Nantes. J’étais en route et aux portes d’Angoulême ; je viens d’être conduit devant le préfet, qui m’a notifié un ordre de M. de Montalivet qui prescrit de me reconduire à Nantes sous l’escorte de la gendarmerie. Depuis mon départ de Nantes, le département de la Loire-Inférieure est mis en état de siège : par ce transport tout illégal, on me soumet donc aux lois d’exception. J’écris au ministre pour lui demander de me faire appeler à Paris ; il a ma lettre par ce même courrier. Le but de mon voyage à Nantes paraît être tout à fait mal interprété. Jugez dans votre prudence si vous jugeriez convenable d’en parler au ministre. Je vous demande pardon de vous faire cette demande ; mais je ne peux l’adresser qu’à vous.

 

« Croyez, je vous prie, monsieur le vicomte, à mon vieil et sincère attachement, comme à mon profond respect.

 

« Votre tout dévoué serviteur,

« Berryer fils.

 

« P. S. — Il n’y a pas un moment à perdre si vous voulez bien voir le ministre. Je me rends à Tours où ses nouveaux ordres me trouveront encore dans la journée de dimanche ; il peut les transmettre ou par le télégraphe ou par estafette. »

 

J’ai fait connaître à M. Berryer, par cette réponse, le parti que j’avais pris :

 

« Paris, 10 juin 1832.

 

« J’ai reçu, monsieur, votre lettre datée d’Angoulême le 7 de mois. Il était trop tard pour que je visse monsieur le ministre de l’Intérieur, comme vous le désiriez ; mais je lui ai écrit immédiatement en lui faisant passer votre propre lettre incluse dans la mienne. J’espère que la méprise qui a occasionné votre arrestation sera bientôt reconnue et que vous serez rendu à la liberté et à vos amis, au nombre desquels je vous prie de me compter. Mille compliments empressés et nouvelle assurance de mon entier et sincère dévouement.

 

« Chateaubriand. »

 

Voici ma lettre au ministre de l’Intérieur :

 

« Paris, ce 9 juin 1832.

 

« Monsieur le ministre de l’Intérieur,

 

« Je reçois à l’instant la lettre ci-incluse. Comme il est vraisemblable que je ne pourrais parvenir jusqu’à vous aussi promptement que le désire M. Berryer, je prends le parti de vous envoyer sa lettre. Sa réclamation me semble juste : il sera innocent à Paris comme à Nantes et à Nantes comme à Paris ; c’est ce que l’autorité reconnaîtra, et elle évitera, en faisant droit à la réclamation de M. Berryer, de donner à la loi un effet rétroactif. J’ose tout espérer, monsieur le comte, de votre impartialité.

 

« J’ai l’honneur d’être, etc., etc.

 

« Chateaubriand. »

 

Après l’ordonnance de non-lieu, il me restait un devoir à remplir. Le délit dont j’avais été prévenu se liait à celui pour lequel M. Berryer était en prévention à Nantes. Je n’avais pu m’expliquer avec le juge d’instruction, puisque je ne reconnais pas la compétence du tribunal. Pour réparer le dommage que pouvait avoir causé à M. Berryer mon silence, j’écrivis à M. le ministre de la justice la lettre qu’on va lire, et que je rendis publique par la voie des journaux.

 

« Paris, ce 3 juillet 1832.

 

« Monsieur le ministre de la justice,

 

« Permettez-moi de remplir auprès de vous, dans l’intérêt d’un homme trop longtemps privé de sa liberté, un devoir de conscience et d’honneur.

 

« M. Berryer fils, interrogé par le juge d’instruction à Nantes le 18 du mois dernier, a répondu : Qu’il avait vu madame la duchesse de Berry ; qu’il lui avait soumis, avec le respect dû à son rang, à son courage et à ses malheurs, son opinion personnelle et celle d’honorables amis sur la situation actuelle de la France, et sur les conséquences de la présence de son Altesse Royale dans l’Ouest.

 

« M. Berryer, développant avec son talent accoutumé ce vaste sujet, l’a résumé de la sorte : Toute guerre étrangère ou civile, en la supposant couronnée de succès, ne peut ni soumettre ni rallier les opinions.

 

« Questionné sur les honorables amis dont il venait de parler, M. Berryer a dit noblement : Que des hommes graves lui ayant manifesté sur les circonstances présentes une opinion conforme à la sienne, il avait cru devoir appuyer son avis sur l’autorité du leur ; mais qu’il ne les nommerait pas sans qu’ils y eussent consenti.

 

« Je suis, monsieur le ministre de la justice, un de ces hommes consultés par M. Berryer. Non-seulement j’ai approuvé son opinion, mais j’ai rédigé une note dans le sens de cette opinion même. Elle devait être remise à madame la duchesse de Berry, dans le cas où cette princesse se trouvât réellement sur le sol français, ce que je ne croyais pas. Cette première note n’étant pas signée, j’en écrivis une seconde, que je signai et par laquelle je suppliais encore plus instamment l’intrépide mère du petit-fils de Henri IV de quitter une patrie que tant de discordes ont déchirée.

 

« Telle est la déclaration que je devais à M. Berryer. Le véritable coupable, s’il y a coupable, c’est moi. Cette déclaration servira, j’espère, à la prompte délivrance du prisonnier de Nantes ; elle ne laissera peser que sur ma tête l’inculpation d’un fait, très innocent sans doute, mais dont, en dernier résultat, j’accepte toutes les conséquences.

 

« J’ai l’honneur d’être, etc.

 

« Chateaubriand.

« Rue d’Enfer-Saint-Michel, no 84. »

 

Nous passons sur d’autres détails que mentionne Chateaubriand et arrivons à son procès évoqué dans une note de l’édition de 1910 :

 

Chateaubriand comparut devant la Cour d’Assises de la Seine, le 27 février 1833. Étaient poursuivis, en même temps que lui, les gérants de la Quotidienne, de la Gazette de France, du Revenant, de l’Écho Français, de la Mode, du Courrier de l’Europe, et un jeune étudiant, M. Victor Thomas. Ce dernier, le 4 janvier précédent, avait porté la parole, au nom des douze cents jeunes gens qui étaient allés témoigner à Chateaubriand leur enthousiasme et avaient redit avec lui : Madame, votre fils est mon roi ! Tous furent acquittés, après une admirable plaidoirie de Berryer. Quelques années après, le journal le Droit disait de ce plaidoyer : « Berryer défendit M. de Chateaubriand, comme M. de Chateaubriand devait être défendu, sans provocation et sans bravade, rendant hommage, en son nom, à ces rois de l’exil qu’avait adorés sa jeunesse et que sa vieillesse devait adorer. Tous ceux qui l’ont entendu se souviennent de tout ce qu’il eut de sublime et de véritablement inspiré… Il y a eu, à sa voix, une de ces impressions électriques et involontaires qu’il n’est donné qu’au génie de produire. » (Le Droit, 20 juin 1838.) — Le jour où Berryer vint prendre séance à l’Académie française, le 22 février 1855, le directeur, M. de Salvandy, évoqua en ces termes le souvenir de la plaidoirie du 27 février 1833 : « On comprend que, tout à l’heure, les souvenirs de la Sainte-Chapelle vous soient revenus à la pensée. Votre parole grava ce nom dans la mémoire publique le jour où vous aviez à vos côtés l’auteur du Génie du christianisme, sous les voûtes du palais et à quelques pas de la chapelle de Saint Louis. Ce plaidoyer est de ceux qui restent, Monsieur ; c’est votre discours pour le poète Archias. »

 

On pourrait croire, d’après ces témoignages, et on croit généralement que, dans ce mémorable procès, Chateaubriand avait pris pour avocat M. Berryer. C’est une erreur. L’illustre écrivain n’avait pas voulu être défendu. Il s’était présenté à la Cour d’Assises sans avocat. Il se borna à répondre au réquisitoire du procureur général Persil par les paroles suivantes : « Je ne prétends pas défendre ma brochure ; je ne me lève pas en ce moment pour répondre au discours de M. le procureur du roi, je citerai seulement quelques passages qui expliquent mes intentions, qu’on a aggravées. Je ne suis pas sorti de ma retraite pour troubler l’ordre ; je ne suis revenu en France que lorsqu’on a fait des lois de proscription contre une famille qu’il était de mon devoir de défendre. » Il lut ensuite quelques mots de son Mémoire et cita les paroles touchantes qui le terminaient.

 

Berryer prit la parole comme avocat de la Quotidienne et de la Gazette de France. « Je ne suis pas, dit-il en commençant, chargé de défendre M. de Chateaubriand. » S’il lui arriva d’en parler, cependant, et s’il le fit en termes magnifiques, ce ne fut pas comme son avocat, mais comme royaliste et comme Français.

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