Berryer
Les convictions de Berryer
Né trois ans avant la mort de Louis XVI, Berryer n'a pas connu l'Ancien Régime.
Adolescent, il a été enthousiasmé par l'Empire qui, dit-il, « portait si loin et si haut la grandeur de la Nation au milieu de laquelle j'étais né. »
Mais, avant même la chute de cet Empire, il trouvera ce régime odieux et intolérable. Ainsi s'exprimera-t-il : « J'ai senti le despotisme et pour moi il a gâté la gloire (…). J'ai vu tout un grand gouvernement, une immense puissance qui reposait sur un seul homme, disparaître, disparaître en un jour (…) disparaître parce qu'un seul jour il n'était pas triomphant. Plus de gouvernement, plus de loi ; tout s'anéantissait, tout partait avec un seul homme ! Oh ! Alors j'ai compris que, malheur aux nations dont l'existence, dont le gouvernement, dont la constitution a pour bases ou la mobilité des passions populaires qui conduit aux hontes du Directoire, ou l'autorité immense du génie d'un grand homme qui conduit à d'éclatantes victoires, à d'immenses succès, mais aussi à d'affreux revers, à un anéantissement complet, à un effacement de tout ce qui constitue la Société ! Ah : J'ai compris alors la nécessité d'un principe »1.
Défense du principe monarchique
Son expérience et l'étude des procès-verbaux de l'Assemblée Constituante, l'amènent au Principe monarchique qu'il ne reniera jamais. « J'étais profondément convaincu », affirme-t-il, « que le pouvoir royal, tel qu'il était constitué en France, sur un principe transmis de siècle en siècle et en dehors de toute discussion, se trouvait dans la position la plus favorable pour que se développassent devant lui, sous lui, à côté de lui, toutes les libertés dont le Pays a besoin »2
Ce pays, Berryer l'aime plus que tout, ainsi il dira au Comte de Chambord, auquel il est profondément attaché : « Ce n'est pas vous que j'aime, c'est mon pays, et je ne souhaite votre grandeur que parce qu'elle doit faire le salut et la liberté de mon pays »3
Pour lui, seule la monarchie traditionnelle concilie l'autorité nécessaire à l'État dans son domaine propre, et les libertés des hommes et des collectivités, locales et socio-professionnelles.
Défense des libertés
C'est par fidélité à ce principe que Berryer défend avec vigueur les libertés. « On le trouva », écrit Jules Ferry, porte-parole des républicains, « sur toutes les brèches et derrière tous les droits : la liberté de la presse, la liberté d'association, la liberté de coalition, la liberté des élections, la liberté des correspondances l'eurent tour à tour pour défenseur. »4
Avant tout, Berryer veut rendre à la France la liberté provinciale. Il se demande jusques à quand les Provinces « seront abandonnées à des commissaires du despotisme de Paris ».5
Farouche défenseur de la liberté d'association, il intervient même pour Jules Ferry et ses amis, accusés d'avoir fondé une association destinée à soutenir des candidats républicains, aux élections. « Je suis profondément opposé à l'idée républicaine », dit Berryer avec vigueur, « mais que viennent-ils demander ? Dans un pays où le suffrage universel est établi, ils viennent demander la liberté de faire leur opinion !... » Et il ajoute : « En France, où il y a le suffrage universel, on se demande si les citoyens, avant de se réunir au nombre de 40.000 pour choisir un nom, ont le droit d'en délibérer entre eux : En vérité, cela n'est pas croyable. »6
Ce droit d'association, il le réclame avec véhémence pour les ouvriers charpentiers et typographes.
À ce sujet, Maître Pierre Jacomet dira : « L'histoire sociale et politique aurait certainement mieux conservé la mémoire du procès des ouvriers charpentiers de 1845 si, au lieu d'avoir été plaidé par le royaliste Berryer, il eût été défendu par Ledru Rollin ou Jules Favre »7
Les révolutionnaires de 1789, craignant la formation d'états dans l'État, ont réclamé l'anéantissement des associations ouvrières. En 1791, l'Assemblée Constituante a décidé d'interdire toute association. Le centralisme napoléonien a autorisé les seules associations de chefs d'entreprises. Ainsi, face aux patrons regroupés en syndicats légaux, les ouvriers ne peuvent émettre que des revendications individuelles.
En août 18458, des ouvriers charpentiers, accusés de délit de coalition réprimé par les articles 415 et 416 du code pénal9, trouvent en Berryer, un défenseur de leurs justes revendications. Plaider les circonstances atténuantes serait déclamer la pitié; or, il s'agit de justice ; Berryer fait donc appel à l'équité plus qu'au droit. On note dans sa plaidoirie un passage symptomatique de l'esprit du temps que l'avocat dénonce en s'écriant : « Qu'il me soit permis de trouver étrange que Monsieur l'Avocat Général ait fait remarquer la tenue, la toilette des prévenus à l'audience, pour se prévaloir contre eux de leur attitude si convenable !... Parce que ces hommes ont voulu comparaître devant votre justice dans la meilleure tenue possible, Monsieur l'Avocat du Roi a insinué que ces dehors indiquaient de l'aisance et que, par conséquent, les compagnons charpentiers n'avaient pas besoin d'une augmentation de salaire. »10 En reconnaissance, ils offriront à Berryer un chef-d’œuvre de charpenterie, « le berryer »11.
En 1862, Berryer âgé de 73 ans, défend avec la même ardeur, les ouvriers typographes. « La lettre de la loi était toujours contre lui, mais la manière dont il présenta la défense des typographes montra l’arbitraire de la loi »12.
En reconnaissance, les ouvriers typographes offriront à Berryer un exemplaire unique des Oraisons funèbres de Bossuet, « chef d’œuvre d’impression »
Par la loi du 25 mai 1864, dite d’Émile Ollivier, les articles du code pénal interdisant le délit de coalition sont abrogés. Notons seulement que « Berryer se vit dans la nécessité de refuser son vote à la loi nouvelle, qui, malgré ses modifications relativement libérales, n’en demeurait pas mois à ses yeux une loi d’exception »13
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Catholique convaincu, il place la liberté religieuse au-dessus de toutes les autres. Dans son plaidoyer pour Monseigneur Dupanloup, il s'écrie : « C'est la plus auguste des libertés que j'ai à défendre ».14
À la Tribune, Berryer soutient la liberté de la Presse ; il y réclame l'application du jury aux délits de presse (4 octobre 1830) et dépose des amendements sur les pénalités des journalistes (7 mars 1868) et sur la liberté de la librairie et de l'imprimerie (9 mars 1868).
À la Barre, il défend à plusieurs reprises La Quotidienne et la Gazette de France.
Dans la plaidoirie pour la Gazette de France, qui avait reproduit ces mots de Chateaubriand à la duchesse de Berry : « Madame, votre fils est mon Roi ! », il relève cette inqualifiable répartie du Procureur Général : « Nous respectons toutes les opinions, mais à condition qu'elles seront toujours muettes !! »15
C'est en faveur de la liberté des correspondances que Berryer plaide pour le Marquis de Voguë. Celui-ci est poursuivi pour colportage à la suite de l'envoi à ses amis, d'une missive du Comte de Chambord. L'avocat démontre que les textes invoqués par le Ministère Public ne s'appliquent pas. Il obtient la relaxe.
Notes :
1. Berryer, Pierre, Antoine, Œuvres de Berryer. Discours parlementaires, 5 tomes, Paris, Émile Perrin, 1885. T.V p. 164 et suivantes.
2. Ibid., II, p. 264
3. in de Champagny, Franz, Discours de réception de François-Joseph de Champagny, 1870.
4. Ferry, Jules, « M. Berryer », in Le Temps, Paris, 1er décembre 1868
5. Berryer, Pierre, Antoine, Œuvres de Berryer. Discours parlementaires, 5 tomes, Paris, Émile Perrin, 1885. p. 199
6. Berryer, Pierre, Antoine, Œuvres de Berryer. Plaidoyers, IV, Paris, 1876 p. 258, 277
7. Jacomet, Pierre, Berryer au Prétoire, Paris, Plon, 1938 p. 199
8. Gazette des tribunaux du 22 août 1845, compte rendu de l’audience du 20 août devant le Tribunal de police correctionnelle de la Seine (7e chambre) dix-huit ouvriers charpentiers prévenus du délit de coalition
9. Code pénal de l’empire français de 1810
10. Berryer, Pierre, Antoine, Œuvres de Berryer. Plaidoyers, II, Paris, 1876, p. 235
11. Restitué aux compagnons charpentiers à la mort de leur éminent défenseur, il est conservé au siège des Compagnons charpentiers des Devoirs de la ville de Paris, 161 avenue Jean Jaurès (anciennement rue d’Allemagne) à Paris.
12. Jacomet, Pierre, Berryer au Prétoire, Paris, Plon, 1938 p. 210
13. Discours de M. Baraguet, délégué de la typographie parisienne aux funérailles de Berryer, in Berryer, Hommages rendus à sa mémoire, Gazette de France, 1869, p. 62
14. Ibid., III, p. 421 et 422
15. Berryer, Pierre, Antoine, Œuvres de Berryer. Discours parlementaires, 5 tomes, Paris, Émile Perrin, 1885, I, p. 70
Caricature de Jules Ferry croquant un prêtre,
parue dans une revue satirique de l'époque.
Félix Dupanloup (1802-1878),
évêque d'Orléans en 1849 et
membre de l'Académie Française en 1854